John Fante - Mon chien Stupide

30 septembre 2018

Je viens de terminer “Mon chien Stupide” de John Fante. Voici un bouquin qui me pose problème.

Initialement, on se dit que ce livre, qui raconte l’histoire d’un écrivain bourgeois et conservateur d’âge mûr qui s’ennuie, attend avec impatience le départ de ses enfants, et trouve son seul réconfort dans la relation qu’il a avec son chien, relève forcément de la satire. L’humour au second degré est d’ailleurs omniprésent. Cependant on ressent rapidement un malaise quand on se rend compte que le livre ne remet aucunement en cause les opinions du narrateur et personnage principal, dont nous allons voir qu’il est peu fréquentable. L’humour est en effet utilisé pour se moquer des milieux littéraires et du show business (je trouve curieuse la manie de ceux qui ont réussi à cracher dans la soupe, mais soit). Il l’est aussi pour critiquer ses voisins, ou dénigrer ses enfants qui ne suivent pas ses valeurs de bourgeois blanc (rendez vous compte : sa fille fréquente un surfeur qui vit dans un van, ses fils veulent éviter le service militaire et l’un deux se marie même avec une noire), mais à aucun moment le lecteur n’a le droit de se délecter d’un moment d’auto-dérision de la part du narrateur… dérision pourtant très attendue au fil des pages. Nous avons un narrateur cruel envers le monde entier sauf envers lui-même. Bien sûr, il se lamente un peu sur son sort, fait mine de se considérer comme un écrivain raté malgré sa fortune, mais il apparaît en réalité que le livre n’est qu’une affirmation décomplexée du statut de privilégié du narrateur. Il critique les autres, mais ne se remet pas lui-même en question.

Pourquoi est-ce problématique ? Qu’un livre ne critique pas la bourgeoisie et adopte une position conservatrice, après tout ce n’est ni le premier ni le dernier, et ce n’est pas le problème. La prise de position du livre est problématique car ce personnage qui semble inébranlable dans ses positions n’est pas seulement un représentant de la classe dominante, c’est également un oppresseur actif et sans conscience. Son racisme est omniprésent. Son obsession à l’encontre des noirs (qu’il appelle “nègres”) qu’il critique sans relâche tout au long du roman à l’aide de poncifs improbables est nauséabonds (la femme noire tigresse aux fesses rebondies, les hommes noirs sauvages guerriers assassinant les blancs qui s’approcheraient de “leurs femmes”, etc.). Non content d’être raciste, il procède au viol de sa femme, alors plongée dans un sommeil artificiel, avec une décomplexion rare. Il va jusqu’à préciser avoir conscience de commettre un viol, mais qu’il s’agit néanmoins du meilleur sexe qu’il ait jamais eu (il se réveillera au petit matin fort guilleret qu’elle ne se soit rendu compte de rien).

Avoir un personnage raciste ou violent est intéressant, à partir du moment où le contexte permet de mettre en perspective les actions de ce dernier. Hors dans cet ouvrage, ce qui est mis en perspective c’est le monde extérieur. La vie et les opinions du narrateur étant représentées comme étant l’évidence, la normalité. Le viol et le racisme sont ici de simples anecdotes du quotidien. Ce qui relève du formidable pour le narrateur, ce sont les agissements des autres, de ceux qui ne pensent pas comme lui. Il reste jusqu’au bout un personnage fier, jamais tourné en dérision. Certes, il connaît quelques déconvenues, mais c’est le monde extérieur qui l’empêche de se réaliser. Lui ne se reproche rien du début à la fin. Par ailleurs, les situations dans lesquelles il se retrouve ne sont pas suffisamment burlesques pour apporter le recul nécessaire à une distanciation entre le point de vue du personnage et celui supposé de l’auteur.

Ce qui m’agace finalement, et là je parle de manière plus générale, est qu’un auteur écrivant n’importe quelle saloperie, et qu’on interrogerait à leur sujet, s’en tirerait en prétextant qu’il s’agit en fait de critiques de la chose, à ne pas prendre au premier degré donc. C’est aussi ce que diraient ses défenseurs voulant se faire passer pour des intellectuels qui, eux (par opposition aux "gauchistes"), auraient compris le bouquin. Or, j’estime que lorsqu’on veut créer une œuvre critiquant le racisme, le viol, ou autre sujet grave impliquant la maltraitance d’autrui, on prend la responsabilité de faire passer un message sans équivoque. Le lecteur doit fermer le bouquin en ne se posant aucune question sur la position de l’auteur. Soit on condamne, critique ou se moque des tortionnaires, soit on pond un récit nauséabond et légitimant, ne laissant aucun doute sur la bassesse morale de l’auteur et de son éditeur.

Précision cocasse : j’ai lu ce livre après en avoir entendu parler sur France Culture dans l’émission La Dispute, où il était présenté comme une sorte de gentille farce sur cet homme qui s’ennuie et espère trouver un salut provisoire dans sa relation avec son nouveau chien; sans aucun autre commentaire. Bonjour l’esprit critique et, pour le coup, adieu France Culture.